06 décembre 2008

Ylang-ylang

« Venez diner jeudi à dix huit heures ! » nous avait dit Signy .*
Je voulais trouver une petite corbeille tressée pour y déposer les fleurs d’ylang-ylang que mon mien avait fraîchement cueillies pour les offrir à Signy .
Avant-hier donc , je me trouve à St François autour du marché .
A la boutique du Syrien , j’entre lui dire bonjour : il est là .
Entre l’accolade ou un semblant de baise main , il a un moment d’ hésitation , tout troublé de me voir apparaître entre ses rouleaux de madras !
L’émotion dissipée , nous parlons de tout et de rien , de la famille , des enfants , du pays ;
Je prends congé et je continue ma ballade .
Deux boutiques plus loin , je trouve mon bonheur , enfin , pas de corbeille mais un morceau de gorgone qui , j’en suis sûre , aura sa place dans le salon de Signy , sous le miroir entouré de coquillages et la Nature morte peinte par elle dans mon atelier ou tout près d’une de mes « Courtisanes » . L’accent de la vendeuse m’incitant à arrêter là mon choix : il venait de Montréal comme Signy .
Et je continue à marcher dans le bourg , devant l’église , décidée à aller saluer madame ISSA , l’épouse du Syrien , dont la boutique est sur mon chemin .
J’entre dans le vaste magasin empli de robes des » Mille et une nuit « en satin ou velours avec perles et pampilles et incrustées de paillettes , de chapeaux et sacs assortis , de robes de baptème …
Mes yeux se perdent dans le bazar et je la cherche au milieu des portants de prêt-à-porter : elle est là à son poste , immuable , devant la caisse au fond de la boutique , une cafetière devant elle , genre café turc !
Madame Issa , fidèle à elle –même , les yeux cernés de noir des femmes d’Arabie , les paupières lourdes , le regard vaguement perdu , triste et embué, résultats de trop de sucreries , d’ennui ou tout simplement , ce regard d’émigrants que je connais si bien , sur cette terre qui ne sera jamais la sienne : car elle est fidèle à sa terre de Damas qu’elle rejoint chaque année et d’où elle revient parfois accompagnée d’une petite campagnarde , quand elle devine dans les yeux de son fils qu’elle n’a pas vu grandir , ce désir pour les belles filles d’ici !
Cette petite campagnarde qui deviendra sienne et qui trouvera naturellement sa place devant la caisse enregistreuse au fond d’une boutique de tissu et de vêtements à bas-prix .
Je jette un coup d’œil sur ses portants et j’essaie une ravissante liquette en voile de coton aux motifs persans : de petits plis religieux partant du col « Mao « et des épaules et formant la souplesse de la tunique . Madame Issa me préfère dans celle aux motifs turquoise , moi j’opte pour le fond noir : elle prend l’étiquette entre ses doigts et la fixe longuement , longuement : je sais qu’elle compte , qu’elle est entrain de calculer le montant de la réduction qu’elle va me faire en guise de cadeau !
Cette communauté est extrèmement attachante : sont-ils heureux , je ne le sais pas ; au fond de leur boutique , sous leurs icones , car ils sont chrétiens , assis tout le jour devant leur caisse , ils sont comme des ombres dans ce paradis …


*www.aubergeknowlton.ca