03 février 2010

Les Indes orientales

Je rentre d’un pays magnifique et hier soir , Paris , mouillée et sombre , était parfumé à la cardamome alors que nous déchargions nos valises du taxi .

Nous rentrions des Indes orientales après une quinzaine de jours , où nos pas ont foulé cette terre rouge , cette « terraccota » semblable à celle du poudrier de Guerlain au fond de mon sac .

Nous avons arpenté la terre des ancêtres de mes enfants ,le Tamil Nadu , pays des tamouls , quittée aux environs de 1870 pour aller construire loin , très loin , une autre vie .

Nous avons découvert la langue tamoul , parler précipité , et l’anglais avec les R roulés !

.Nous avons traversé des campagnes ,tantôt verdoyantes avec ses rizières dessinées au cordeau , donnant à la terre des chemins une couleur rouge encore plus profonde , tantôt des régions plus sèches rappelant les paysages des West Indies .

Nous avons admiré des scènes champêtres dignes des livres d’images que nous avons tous feuilletés , tel ces buffles noirs et luisants trainant une charrue dans une rizière inondée et conduits par un paysan au turban de madras bleu ; oui , nous avons vu cela , sur fond de cocoteraie !

Et ces zébus aux cornes peintes , arborant à leurs extrêmités un cône de cuivre où tintent de multiples grelots : c’était « PONGAL » ou la fête du premier riz , ce riz qu’on offre aux vaches sacrées , celles qui se promènent partout , dans les villes ou sur les autoroutes , tout comme les chiens qu’on laisse vivre tranquillement : pays de douceur et de sérénité …

Et ce vol d’oiseau à la queue en large éventail bleu nuit , pareil à l’encre « Waterman » …

Et ce « Cuckoo bird « tel une cigogne noire et blanche alors que nous quittions Chennai , l’ancienne Madras

Et puis nous avons découvert l’architecture des temples bien sur mais aussi des villes :toute l’histoire des invasions .

Ainsi la ville coloniale de Pondichery , semblable à toutes ces vieilles villes endormies des DOM-TOM.

Et Madurai et son style indo-mauresque tout décrépi

Et la région du Chettinad , petite enclave entre Trichy et Madurai : on croit rêver ! On est en rase campagne et , tout à coup apparaît un palais de Raja et quatre ou cinq belles demeures ; c’est tout .Et alors que nous déambulons sur le chemin poussiéreux , une femme en sari nous invite à entrer dans sa prestigieuse demeure , propriété de banquiers où toute la famille se réunit pour célébrer un évènement : cette femme arrivait des USA où elle vit , pour le mariage de sa petite sœur ; continuant notre conversation , elle nous invite à entrer , nous nous déchaussons ; Et nous découvrons une demeure aux multiples cours intérieures semblable aux maisons chinoises ;atrium aux piliers sculptés dans le teck ou colonne de pierre noire , portes entièrement recouvertes de sculptures et sols en marbre blanc !

Alors que nous avançons dans la profondeur de la demeure , nous découvrons la cour des femmes ; toutes en sarees rouges brodés de fils d’or , seule une jeune femme en sari vert : la jeune épousée .

Nous revenons sur nos pas et là , les hommes , certains habillés à la Nehru , tous en blanc sont assis en tailleur dans une sorte de « préau « : ils viennent de terminer leur repas , et à présent les femmes peuvent manger !

On nous invite à partager leur « thali » sur une feuille de banane en guise d’assiette et nous savourons les différents curries avec les mains ! eh oui , même chez les nobles on mange avec la main droite !Quel merveilleux souvenir nous garderons de cet accueil !

Et puis , Chennai, ancien siège de la Compagnie anglaises des Indes orientales et ses superbes édifices dans toute la ville , la plupart enduits de ce mélange de chaux et de coquillages concassés « Chunan « ; ces murs d’un rouge foncé , presque bordeaux .

Et ce bonheur d’être hors du temps , non pas en ignorant le temps , que nous dévoile la presse comme « The Indu « ou « The Times of Indian » ou encore « Indian express » : certes , nous n’oublions pas le drame de Haïti , mais ce que je veux dire c’est qu’on est loin de toute cette politique politicienne qui nous lasse !

Et nous avons »pleuré »en découvrant tous les mets de la riche cuisine indienne : je m’y suis plongée sans savoir ce que j’allais découvrir mais toujours épatée par ces plats et cette envie de découvrir tout ce mélange harmonieux d’épices des « meals » végétariens ou des « Thali », carries sur feuille de banane que mon Mien préférait partager avec nos chauffeurs dans leurs cantines ordinaires pour retrouver le souvenir des plats de sa chère maman .

Moi je me fiais aux noms des plats comme ce « Kaikari Mandi » si chantant ou ce « Kadamba Sambar « un peu carambar , ou ce « Malabar Fish Curry« pour le malabar de mon enfance ou enfin ce « Baby Corn in Black Bean » et ça piquait et ça brulait !Sans oublier les « Paratha » ce pain si délicieux ,ressemblant aus beignets bretons !

Et je me mouchais et je pleurais délicieusement !

Et ces « dhal » au mélange de lentilles blondes , corail et vertes parfois adoucis d’un soupçon de noix de coco rapée . Et ces pois de toutes sortes : petits pois , pois cassés , pois plats , pois de canne , pois d’angol … »pois de senteur « , aux senteurs , revenus dans un genre de pickles . Et cette impression de gouter l’arôme de la cardamome partout !

Et ces desserts , très sucrés , à base de miel aux couleurs incroyablement criardes ; et ce souvenir d’une mousse au chocolat blanc parfumé à la rose !

Et ces « gulab jamun « petites boulettes délicatement parfumées …

Et ces habitudes vestimentaires immuables : ces cinq mètres cinquante de mousseline , faisant d’une intouchable une princesse ; ces « garden sari « tout fleuri et ceux-la en soie et brodés de fils d’or tel celui d’une maman lors d’une réception près de l’hôtel à Chennai tenant par la main cette longue fillette portant une robe de taffetas orange aux reflets d’ambre , le devant entièrement brodé de pierreries et les petits bracelets assortis , tintillant dans la nuit , la longue natte noire dans le dos , agrémentée d’une guirlande de jasmin .

Et ces hommes en « dhoti « ou , plus chic , à la Nehru , tout de blanc vêtus .

Et ces envolées de voiles acidulés ondulant dans la brise de mer tels les rubans d’un cerf-volant . Et ces tuniques et pantalons flous qui sont déjà remplacés par des leggings chez les jeunes filles de Chennai ; il n’y a que là que j’ai vu les filles un peu habillées à l’européenne .

Et ce dernier regard , celui de la photo , échangé sur la plage de Madras ; cette fillette qui me regarde ; je lui souris , elle me sourit ; notre dialogue a commencé , en douceur , jusqu'à ce que je lui demande de la photographier ; un grand sourire de sa part ! car tous adorent poser ; à notre plus grand bonheur de rapporter de là-bas ces magnifiques portraits que j’inviterai mes proches à découvrir comme si je désirais que tous ces yeux qui ont fixé mon objectif continuent à exister universellement . Et puis ce fut le tour du petit frère avec ses yeux d’or et de nouveau la fillette portant dans ses bras sa toute petite sœur .

Et ce temple que je voudrais oublier , la misère à chaque pas , tous ces gens , bébés , enfants et adultes dormant sur la crasse des dalles en granit avec , au dessus de leur tête , des sculptures antiques , datant du XIIème siècle , merveilles de merveilles ; et , sous le regard de leurs divinités , ils dorment dans leur linceul , comme s’ils voulaient que leur chemin s’arrête là , ne plus bouger alors que des macaques , eux , ont pris possession des lieux , vivant aux crochets des miséreux en leur volant bananes et bouteilles de sodas ! moment tristement surréaliste , arrêt sur image sur une scène digne de Bunuel !

Et ce ballet des rickshaws dans le traffic infernal ; un genre de tango où tu me frôle, tu t’éloignes , tu files entre un bus et un scooter , tu te faufiles où tu peux , brûlant les feux tricolores !

Et tomber inmanquablement sur un marchand de tapis et de pashmina, en véritable poils de biquette plutôt métissée que pure pashmina ; et de dire n’importe quoi pour me vendre son tapis comme de me montrer qu’il connaît bien la France en me citant quelques personnalités politiques dont je tairai les noms ; et moi de lui répondre : »Yes , she’s une pétasse … » sachant très bien qu’il me dira « yes » en faisant « non » de la tête car c’est ainsi là-bas ; car il ne comprend rien à ce que je lui dis et moi rien à ce qu’il me dit , en dehors de « carpet », « pashmina » ; et moi de lui réclamer à cor et à cri : » I want a carpet like a tiger « , en lui dessinant une descente de lit en forme de tigre écrasé , celle que j’ai vue à Mamallapuram !

Ah , il commence à comprendre , nous fait asseoir : « just ten minutes … » et lui , d’ameuter tous les marchands de tapis de Madras , et Dieu sait s’il y en a , pour déposer quelques minutes plus tard à mes pieds trois « carpet like a tiger « , en voulant me refiler la plus chère , of course , celle en « pure silk « alors que je veux celle en « wool ».

Bref , je repartirai avec mon tiger en wool, moitié moins chère qu’à Mama , sûre d’avoir fait une affaire …et lui , content d’avoir fait une affaire !

Et ces marchés aux fleurs où les femmes tressent des guirlandes qu’on fait couper à la longueur qu’on désire et que les indiennes accrochent à leur natte : parfum naturel au jasmin !

Et tout ce monde face à la mer déchainée sur la promenade à Pondichery ; moment de méditation ou appel du large , celui qu’ont ressenti les ancêtres de mes enfants , natifs de Pondichery et de Madras ,en 1870 , cette envie de partir , de construire ailleurs une nouvelle vie .

Car , dès que nous avons foulé de sol du Tamil Nadu ,on s’est sentis chez nous , même moi qui partage la vie d’un indien depuis quarante ans , je me suis sentie bien , en sécurité , sereine parmi tout ce monde .

Et mon mien a retrouvé aussitôt ses racines , croyant apercevoir dans la foule tantôt un père , tantôt une sœur , tantôt une nièce ; bref , il était chez lui !

Et mon plus cher souhait est , qu’un jour , mes enfants et mes « Amour de ma vie « foulent cette terre rouge .Je n’ai fait que penser à eux et plus particulièrement à ma fille qui a eu l’heureuse occasion de faire le voyage alors qu’ Antoine , un copain de Rennes faisait son service en tant qu’expat au Sri Lanka

.Et ce vol en airbus A380 au dessus de l’Autriche -Hongrie – Roumanie – Mer Noire – Turquie – Syrie – Irak – Koweit – Mer du Golfe persique – Dubaï –mer d’Oman – Inde .

Je voudrais terminer ce journal de voyage en disant que ce que j’ai découvert en Inde ces quinze derniers jours est au-delà de ce que je pouvais espérer.

L’Inde est un pays des merveilles


14 Comments:

Anonymous Raymond a dit...

Magnifique voyage, magnifique relation de voyage.
Le bonheur transpire à chaque mot. C 'est la preuve qu'il a été présent tout au long du séjour. Aucun aspect de la réalité de ces Indes Orientales n'a été oublié. Avec talent, subtilité et enthousiasme, Annie, tu as su traduire aussi bien une certaine opulence que le côté plus miséreux de ce merveilleux pays. Jamais de misérabilisme ni de surenchère : on sent la sincérité, l'amour et l'adéquation totale aux saveurs, aux couleurs, aux parfums, aux paysages, aux personnes, bref à l'éclatante richesse indienne, populaire et culturelle qui nous manque tant aux W.I Bravo. Vous avez magnifiquement préparé et réussi ce voyage, sans a priori, laissant largement la place à la spontanéité et à l'élan naturel de votre cœur, de vos yeux, de vos oreilles, de votre sensibilité... Un vrai poème, un inestimable tableau, une admirable symphonie...

PS :
J'allais te dire de changer de police d'écriture. Je constate que tu l'as fait en relisant (plus facilement) une deuxième fois ton texte. Merci

3/2/10 09:08  
Blogger Annie Ranguin a dit...

Raymond ton commentaire me touche profondément et j'ai l'impression d'avoir un peu partagé mon bonheur avec ceux que j'aime tellement en écrivant ce que j'ai ressenti tout au long de ce voyage . Bientôt , je l'espère , je vous en parlerai de vive voix , sans oublier mon Mien qui ,lui aussi a encore beaucoup plus de choses à raconter
avec toute mon affection pour vous trois

3/2/10 12:09  
Blogger Annie Ranguin a dit...

oui , j'ai changé de police d'écriture car je me suis faite rappeler à l'ordre par ma fille qui voulait tellement me lire mais a attrapé un mal de tête au bout de la troisième phrase !
mais celle -çi ne me plait guère , trop ordinaire pour moi ! hélas je ne sais pas comment trouver les différentes polices , alors , j'attends que mes enfants me dépannent !
je suis nulle en informatique !

3/2/10 12:13  
Anonymous martine a a dit...

le retour d'Annie!!!! un plaisir!!!
quel merveilleux spectacle tu nous offre.
émotions, rencontres, lieux contés avec tant de sensibilité, tant de naturel, de simplicité, purement sublime!!!! belle écriture, belles images.
émouvant, SON bienêtre spontané, sur la terre de ses origines comme s'il y avait autrefois vecu.
mémoire héréditaire? j'y crois.
que de merveilleux contes pour tes petits amours, bien plus beaux et plus vivants que des contes de fées. eux que l'hérédité incitera peut-être à s'assimiler aux "acteurs" de ton récit.
nous attendons d'autres commentaires de ce carnet de voyage magnifique. puis, des photos, des photos, des photos, s'il te plait!!!

3/2/10 13:22  
Anonymous martine a a dit...

la police d'écriture demandait quelques efforts de lecture,certes,
mais participait à l'esthétisme ambiant de l'ensemble....
je fais confiance à l'artiste pour en trouver une adéquate....

3/2/10 13:26  
Blogger Annie Ranguin a dit...

merci Martine pour ta fidélité ; c'est un peu pour toi que j'ai écrit cette belle aventure et pour ceux qui me lisent régulièrement . je pense que j'aurai encore beaucoup de choses à raconter avec des photos à l'appui

3/2/10 15:31  
Anonymous isabelle a dit...

Quel magnifique récit !!! Ah l'Inde ! J'en rêve!
Je suis d'autant plus touchée par ton récit que étant réunionnaise, la culture tamoule est très importante dans mon pays.
J'étais à La Réunion il y a 2 semaines et je me suis plongée dans mes souvenirs et ma culture mélangée faite d'un peu d'Europe, d'un peu d'Afrique et d'un peu de Pondichéry... justement..
J'y ai vu un enterrement de tamouls. C'était superbe: tous de blanc vêtus, pieds nus et des tambours et des flûtes qui précédaient la procession.
Je suis allée chez une amie malabaraise et j'ai remarqué une photo de ses arrière grands-parents fiers, habillés à l'indienne, la première génération de ces indiens partis de la côte tamoule à peu près à la même époque que les ancêtres de tes enfants.
C'est dire comme j'ai reçu cinq sur cinq ton post !
J'ai d'ailleurs le projet de faire un "spécial Inde" sur mon blog en présentant une grande variété d'entre elles. Comment ignorer l'Inde lorsqu'on travaille dans la mode? Je t'en parlerai alors, cela risque de t'amuser.
Merci encore pour ce post magnifique qui me remue et cette photo! Dieu que les indiennes sont belles!

4/2/10 06:06  
Anonymous martine a a dit...

ton commentaire me touche particulièrement, merci de nous faire partager tes découvertes et tes émotions.

4/2/10 08:23  
Blogger Annie Ranguin a dit...

Chère Isabelle
merci pour ce mot qui est comme une suite à mon texte !
je crois que , toi aussi , tu as une vie riche de cultures différentes ! Quand , il y a quarante ans , j'ai croisé cet indien , jamais je n'aurais pensé avoir une vie aussi riche et trépidante , faite de voyages , de déménagements, d'horizons lointains , d'amis de partout ; D'ailleurs , j'ai remarqué que beaucoup de mes amies ont des accents; j'aime les écouter parler ,ça me fait voyager . je ne suis pas allée sur ton blog depuis un certain temps , depuis que tu étais à la Réunion ...
je rappelle à nouveau ton adresse pour mes amies :
Accro de la Mode
J'ai hâte de lire ton "spécial Inde "merci

4/2/10 12:49  
Blogger Annie Ranguin a dit...

Martine , j'ai beaucoup de photos et , presque toutes racontent une histoire . Donc , je ferai encore d'autres textes car je suis encore au Tamil-Nadu dans ma tête

4/2/10 12:52  
Anonymous JPG a dit...

Ton récit fait vraiment rèver.Il porte tellement d'images,de senteurs.Comment résister?...Le ministère indien du tourisme ne peut que s'inspirer de ton texte pour sa prochaine campagne promotionnelle!
Merci de nous faire partager par tant de superbes descriptions ton ressenti au cours de ce magnifique voyage.On s'y croirait!!

5/2/10 03:39  
Blogger Annie Ranguin a dit...

merci Jean Pierre
oui , je suis tellement enthousiaste que j'ai envie de faire partager ces moments d'émotion avec tous mes amis

5/2/10 07:04  
Anonymous grelot ana a dit...

Quel magnifique récit de voyage !! Comme j'aimerais connaitre ce pays! merci Annie

5/2/10 19:02  
Blogger Annie Ranguin a dit...

Et dire qu'on a failli ne pas le faire !
on a connu Cochin , un petit séjour qui a grignoté le début du voyage , nous empêchant de voir Dehli ,Agra et Bénarès ; mais ,pas le Cochin de la côte Malabar ...celui de Paris !
Ana , ce peuple indien est naturellement pacifique et d'une telle beauté !
J'aurai l'occasion de t'en parler bientôt
à très bientôt et merci d'avoir nourri si amicalement mon blog

6/2/10 04:22  

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