14 octobre 2008

"Les Anges bleus "







Mon ami et poète Raymond Joyeux , mon échotier des Tropiques , m'a appris le départ de Jérôme HOFF, peintre des Saintes que personne ne prenait au sérieux , sauf moi et quelques autres artistes et poètes .
Un jour que nous descendions du Fort Napoléon , je criai à mon chauffeur :"Stop"
je venais de voir , sur le bord de la route une espèce d'antre ....
Alors que tout le monde me disait : "Mais que vas-tu chercher là ?" , j'entrais dans une case très sommaire et je découvris des murs couverts de toiles : plutot naïves et peintes sur de la toile brute .
Une très grande toile accapara mon attention
"Combien cette toile ?" demandai-je
" Elle n'est pas à vendre car elle sert de mur à ma case !" et il continua
" hier , des américains me l'ont déjà demandée !" .....
Bref , il accepta de me céder une petite toile " Les Anges bleus " pour une somme dérisoire .
Je me demande encore si je n'étais pas la seule personne dans toute la Guadeloupe à posséder une oeuvre de lui : un incompris , vous dis-je !
J'ai su par la suite qu'une de ses grandes toiles était exposée à l'église de Terre - de -Haut : un Christ en croix , si je m'en souviens bien .
Mon ami Raymond Joyeux saura me le décrire : il a écrit un papier pour France-Antilles à l'occasion de son décès que j'aimerais qu'il me fasse parvenir .
"Paix ait son âme et que Dieu lui fasse peine" , comme me disait toujours ma nainaine ....

Oeuvres singulières bien plus profondes que ces espèces de plumeaux chamarés de certains peintres !

(Mon ami vient de m'expédier le texte que je vous fait découvrir avec émotion


Terre-de-Haut : disparition d’un artiste


Le samedi 11 octobre, les habitants de Terre-de-Haut ont dit un adieu émouvant et unanime à une figure saintoise exceptionnelle en la personne de Jérôme HOFF, décédé la veille à l’âge de 72 ans. Après le décès en février dernier de Francis BOCAGE, charpentier de marine hors pair, bien connu et estimé des amateurs de voile traditionnelle, c’est le deuxième artiste saintois qui disparaît en peu de temps.

S’adonnant principalement à la sculpture sur bois, Jérôme HOFF avait commencé très jeune à façonner avec de la terre glaise des mornes de son île natale les personnages de la crèche que le père OFFREDO, curé de la paroisse, lui commandait – gracieusement – à l’occasion des fêtes de Noël. Mais c’est d’un voyage à Basse-Terre avec une de ses tantes, alors qu’il avait 14 ans, qu’était née véritablement sa vocation de sculpteur. Une Vierge en plâtre aperçue à la vitrine des magasins Lacroix avait été en effet à l’origine de ses premières vraies réalisations et, depuis cette date, les sujets religieux n’avaient pas cessé de l’inspirer.

Christ, Vierge à l’enfant, Pietà, visages de Saints ou de Saintes, Jérôme HOFF les a sculptés pendant plus de 50 ans, d’instinct, avec un simple ciseau à bois, un maillet et une râpe de menuisier, animé de son seul talent naturel, de sa sincérité et de la force de sa foi biblique, car il n’avait suivi ni école de Beaux-Arts ni stage de sculpture. Son matériau de prédilection était le cœur de mancenillier et le bois de savonnette qu’il considérait comme les plus aptes à traduire l’expression de naïve sérénité qu’il imprimait au billot en quelques coups de maillet habiles sur le manche usé de son ciseau d’artiste.

Mais Jérôme HOFF n’était pas que sculpteur, s’il lui arrivait d’abandonner le bois pour le corail qu’il ciselait à l’ancienne, à la manière des Indiens Caraïbes, il prenait souvent le pinceau et donnait libre cours à son imagination mystique nourrie de la lecture journalière de la Bible et des livres saints.

Sculpteur, peintre, mais aussi musicien, acteur, auteur de cantiques religieux, de chansons, de pièces de théâtre et de sketches, Jérôme était un artiste complet qui touchait à tout avec un égal bonheur. Si son sens de la comédie, la subtilité et l’humour grinçant de ses formules ont bien des fois fait rire aux larmes ses compatriotes, ils regrettent aujourd’hui qu’il n’ait pas pu s’exprimer davantage dans sa commune où l’absence de structure adaptée ne favorise guère les artistes locaux.

De son vivant, établi non sans mal sur la route du Fort Napoléon, au pied du deuxième virage, il avait fait de sa petite maison une sorte de musée permanent où il exposait ses œuvres en toute simplicité. Si les visiteurs hésitaient à acquérir ses sculptures souvent lourdes et volumineuses, ils ne manquaient jamais d’être séduits par l’originalité et la force de conviction du personnage. Jérôme HOFF ne vivait pas en effet à proprement parler de son art, mais il éprouvait un réel bonheur à vous parler de la Bible, des Prophètes, de la vie du Christ et des Saints qu’il connaissait sur le bout des doigts. Et la foi qui se dégageait de ses paroles vous remplissait l’âme de paix et de sérénité, dispositions spirituelles plus qu’indispensables dans notre monde d’aujourd’hui, pétri de matérialisme, de méchanceté et d’indifférence.

Adieu, Jérôme, au paradis, tu ne dois pas être dépaysé car sans doute admires-tu désormais en pleine lumière le visage de ceux et de celles que tu as ici-bas si souvent reproduits dans le bois ou sur la toile. C’est en tout cas ce que croit sincèrement un grand nombre de tes compatriotes, aujourd’hui attristés de ta disparition et qui n’entendront plus résonner sous la voûte de leur petite église la puissance affirmée et caractéristique de ta belle voix d’artiste.

Raymond JOYEUX





2 Comments:

Blogger Alain a dit...

Eh non Annie, tu n'étais pas la seule en Guadeloupe à chérir cet artiste hors normes, et j'ai eu aussi le privilège d'acquérir deux de ces tableaux!

RENCONTRE AVEC JERÔME HOFF

A chacun de mes passages au Saintes, je suis presque toujours passé le voir. La trace des crêtes, l'ascension du Chameau et une halte chez Jérôme ont toujours été mes petits pèlerinages. Il ne me reconnaissait jamais et était toujours un peu méfiant, comme s'il voyait tous les démons que je trimbalais avec moi... mais dès que je lui disais que j'étais "le fils de...", j'étais aussitôt accueilli et absout (apparemment) de toute suspicion: "Et comment va madame Joubert, ta grand-mère ?" disait-il à chaque fois... Il est vrai qu'ils ont nagé longtemps dans le même bénitier.

Lors de mon dernier séjour, en septembre 2007, je suis passé à nouveau devant chez lui en allant un matin au Fort. Il m'a parlé de sa santé vacillante - il attendait assis sur le pas de sa porte une infirmière qui devait venir lui rendre visite pour des soins - m'a invité à entrer et à commenté quelques unes de ses dernières réalisations. Je me suis assis et je suis resté quelques minutes pour contempler, non pas vraiment tel ou tel tableau, mais l'ensemble, l'ambiance de cet antre d'art sacré. La naïveté décrétée et assumée du style rajoutait au mystère... Enfance de l'art que cet art-là dans son sens de sincérité et de cœur.

Je pense que si Christian Bobin l'avait rencontré, il aurait été touché comme s'il avait retrouvé un frère longtemps perdu de vue. Oui, lorsqu'on lit ce dernier et que l'on entre chez Jérôme Hoff, on peut être presque certain que ces deux-là appartiennent à une même famille d'âmes.

De cette case-musée (ou devrai-je dire une hutte de chaman?) où il vivait célibataire, s'est toujours dégagée pour moi cette atmosphère de temps arrêté, odeur d'enfance éternelle, même atmosphère que chez ma grand-mère lorsque j'étais petit. Peut-être est-ce pour retrouver ces reliques insaisissables de mon jeune temps sacré que je venais à chaque fois tel un pèlerin ? Oui, ça doit être cela...

A l'intérieur, au-delà de l'espace dédié à l'œuvre bibliquement engagée, accrochage prenant tous les espaces possibles du sol au plafond, une table simple avec deux chaises, un verre et une bouteille d'eau, très peu d'objets; décor de vie qui aurait pu être un modèle à peindre, exemple de cette simplicité chère à Vincent Van Gogh , Paul Cézanne ou Georges Rouault, eux-mêmes, comme Jérôme Hoff, artistes ascètes et célibataires, autodidactes mais travailleurs persévérants, amoureux de l'intensité et de la brillance du simple.

Avant l'issue de cette dernière visite, je me suis décidé à lui acheter deux tableaux accrochant mon regard: un Christ rouge aux fleurs (dont une faite de ficelle collée), et une Vierge blanche en prière, tous deux peints sur du contre-plaqué récupéré, avec un cadre fixé par des clous qui dépassent ... L'objet est maigre, inconsistant, presque friable, tellement en dehors de toute valeur qu'il les contient toutes et en devient inestimable.

L'achat que je fais n'est pas par générosité vraie ou fausse, ni même motivé sur le moment par la beauté de ces tableaux. Il m'importait seulement, je le comprends aujourd’hui, d'emporter enfin avec moi un précieux fragment de lumière d'enfance, un éclat de souvenir, une pépite de cette oeuvre d'homme, de ce musée céleste hors du temps.

Les tableaux que je lui désigne coûtent chacun quarante euros, le prix est encore écrit au marqueur sur le bois vernis du cadre ! Sans discussion ni marchandage, Jérôme me cède les deux pour cinquante. Je suis heureux de pouvoir les payer cash, riche que je suis encore à cette époque de mon héritage helvète!

Je le revois en train de me les emballer soigneusement sur la table en bois de la cuisine avec du papier déchiré d'un sac de farine, un de ceux dont se servent les boulangers pour transporter le pain. Eh oui, il y a le bonhomme, sa maison temple d'art, des sculptures, des tableaux, des phrases bibliques à la peinture blanche sur des panneaux de bois ou de vieilles planches et pour finir comme une apothéose, du papier farine pour emmailloter le tableau vendu...

Juste avant de partir, il m'a montré, remisé dans un coin, un grand format soigneuse-ment emballé, cette fois dans du papier bulle et plastique zébré de scotch brun, paré à prendre la mer. Très fier, à la façon des humbles - c'est-à-dire avec humour et détachement - il m'a dit que c'était là un tableau acheté par des Russes qui lui avaient rendu visite. Il a ajouté qu'ils avaient payé comptant une somme aussi coquette que ses statuettes (je ne me souviens plus mais c'était assez important). Il m'a précisé que ces mystérieux acheteurs, férus d'art naïf, pensaient venir prendre "un jour" leur achat.

Il y avait de quoi être fier, non pas d'une bonne affaire, mais de la confiance qui lui était faite. Et c'est cela, je crois, je veux le croire, cette confiance accordée qui illuminait de fierté son visage. Il m'a dit aussi avec une douce désinvolture qu'il avait vendu beaucoup d'œuvres à des amateurs d'art européens et américains.

Voilà pour la reconnaissance artistique.

J’ignore si beaucoup de Saintois savent que leur Jérôme "local", le chanteur d'église, celui qui parfois essuyait la moquerie des bien-pensants, vendait ses oeuvres à des collectionneurs internationaux !

Je suis finalement sorti, renonçant à mon escapade au Fort, et je suis redescendu au Mouillage avec mon paquet sous le bras, emballé de papier brun encore blanchi de farine et noué de vieille ficelle, emballage de simplicité pratique, à l'image que j'avais de l'homme et de son œuvre.

Alain JOYEUX, Octobre 2008

19/10/08 08:47  
Blogger Alain a dit...

Eh non Annie, tu n'étais pas la seule en Guadeloupe à chérir cet artiste hors normes, et j'ai eu aussi le privilège d'acquérir deux de ces tableaux!

Je n'arrive pas encore à t'envoyer des photos. peux-tu me communiquer ton mail, cela sera pour moi plus simple. BIZ. A L'1

19/10/08 08:53  

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